Déviation
Un soir, après une dispute avec sa femme, Michel était monté dans sa modeste Toyota grise dans l’optique de se calmer.
Il se mit à rouler machinalement sans réellement savoir où aller.
Dans sa tête ses rêves et tous ses objectifs étaient entremêlés.
Mais que ce serait-il passé s’il avait dit cette phrase là à un autre moment?
Est-ce que ça aurait tout arrangé?
Pendant plusieurs heures il roula tout droit, cerveau débranché ; retrouvant espoir peu à peu dans le macadam qui défilait à perte de vue.
Après de longues et fastidieuses heures de route il décida de prendre du repos dans un motel sur une aire d’autoroute.
Il rentra dans le bâtiment délabré aux couleurs jaune pâle et lumières défaillantes.
Un hôtelier peu sympathique lui adressa un nonchalant accueil.
L’homme mince vêtu d’un costard accompagné d’une chemise noire à carreaux rouges et entrebâillée à hauteur de son nombril laissait transparaître un ventre poilu.
« Bonsoir. Que venez-vous faire à une heure aussi tardive pour louer une chambre que vous ne serez pas capable de tenir en ordre durant une nuit? »
Saisi pas ce commentaire glacial et fortement interloqué, Michel décida quand même d’ignorer le tout.
Michel: » Foutez-moi la paix avec vos conneries. Vous avez une chambre de libre? »
Il lui tendit la clef de la chambre 18 tout en le prenant de haut.
Michel marcha d’un pas fatigué vers la piaule et ouvrit la porte grinçante.
Michel: « Putain, cette porte est tellement délabrée que n’importe quel connard pourrait rentrer ».
Sur ces belles paroles il s’écroula sur le lit.
Michel :- « Putain…insomnie », grogna t’il en fixant le plafond les yeux écarquillés.
Se doutant d’une nuit blanche imminente, il ne pu s’empêcher de rejouer les scènes dans sa tête.
-« J’aurais dû lui dire », marmonna t’il.
A l’aube, il décida de quitter cet hôtel miteux.
Le maître des lieux le surprit sortant de sa chambre et s’adressa à lui : « Le petit déjeuner est offert, clodo ».
Michel rétorqua : « Pas le temps pour ça, je rentre chez moi ».
Il se mit à rouler vers sa maison quand soudain, devant lui, le stoppant net, il se retrouva devant un panneau ; sur celui-ci en grand était marqué DEVIATION.
En effet, un chantier lui barrant la route était présent.
Il jura : « Putain de bordel de merde »
-« Purée de pommes de terre ! », le corrigea un inconnu, la tête penchée par la fenêtre ouverte de l’automobile.
-« Qu’est-ce que vous foutez là, vous ? s’exclama Michel.
-« Que faites-vous là, mon ami ? », le reprit-il.
Michel renchérit : « Je vous dis d’aller vous faire foutre, si je veux ! D’ailleurs allez bien vous faire foutre. »
L’inconnu : -« Cornebuse, mais pourquoi m’insultez-vous ? »
Michel : -« C’est pas possible, cassez-vous ! », dit-il en refermant la vitre sur la tête de l’inconnu.
Celui-ci toqua au carreau : -« Sapristi, mon ami, mais ouvrez-moi ! »
Michel : – « Je vous ouvre si je veux et j’insulte si je veux. J’ai 40 piges, c’est pas vous qui allez me dire ce que je dois faire et ce que je dois dire. Si je veux insulter, je le fais. Point à la ligne. »
L’inconnu :-« Oh, je suis sincèrement désolé de vous avoir vexé. C’était peut-être bien trop impoli de ma part ».
Michel : -« Bon, vous voulez quoi ? »
L’inconnu :-« Aller à Nice ! C’est pour ça que je fais de l’autostop », répondit-il jovialement.
Michel :-« Non, vous ne monterez pas dans ma voi… »
Sur ce, l’inconnu était déjà assis sur le siège passager, révélant des cheveux roux, des habits colorés et une planche de surf aussitôt posée sur la banquette arrière.
Le sourire aux lèvres il renchérit :-« Oh, je suis tellement content de faire votre connaissance ! ».
Michel : -« Pard… »
L’inconnu :-« Comment vous appelez-vous ? Moi c’est Henri. Henri Gol »
Michel : -« Et ben moi, ça ne me fait pas marrer ».
Henri : « Vous êtes devin, Monsieur. Ma planche de surf et moi, on aimerait tellement arriver à temps pour la marée haute ! »
Michel :-« Bon, moi c’est Michel. Si vous voulez arriver entier à Nice, Madame et vous, pas de remous dans ma bagnole, pigé ? »
Henri :-« Compris, je ne ferai pas de vagues ».
Résigné, Michel fit demi-tour et appuya sur le champignon en direction de la côte d’azur.
Un peu plus tard, Henri en s’étirant : -« Aaah, j’aurais bien un petit creux, moi. Pas vous ? »
Michel, le voyant venir gros comme un camion, décida de l’ignorer.
Henri chantonna :-« Croissants café, croissants café…j’aimerais bien m’en régaler. Croissants café croissants café…j’aimerais bien m’en délecter. Croissants café, croissants café…j’aimerais bien en gouter…croissants café… »
Michel :-« Vous êtes chanteur aussi ? »
Henri :-« A vrai dire… »
Michel : – « C’était pas une question ».
Henri :-« Croissants, café, croissants café qu’ils sont agréables à manger ».
Michel le fusilla du regard et Henri arrêta sa chansonnette puis la sifflota quelques minutes plus tard. (sifflotements)
Michel, se rappelant qu’il n’avait pas déjeuné, finit par s’arrêter dans une station-service.
Michel : -« Alors, vous le voulez votre croissant ? »
Henri :-« Oh, c’est si gentil de me l’offrir, Monsieur. Je vous remercie pour votre générosité. »
Michel :-« Comment ça offrir ? »
Henri :-« Figurez-vous que cette nuit, un intrus a volé mon portefeuille et me voilà démuni. Mais voyez comme le hasard fait bien les choses ! Justement, voilà que vous me proposez restauration. »
Michel sortit de sa voiture en claquant la portière et rentra dans une moderne station rouge et blanche.
Michel :-« Putain, c’est plus propre qu’au Motel ici . »
Juste derrière lui, Henri qui l’avait rattrapé, chuchota à son oreille ; « Ha, oui ? »
Michel :-« Un croissant et tout de suite ! » dit Michel en frappant du poing sur le comptoir.
Une femme cria depuis la réserve : -« Ferme ta gueule ! »
Sortant de l’entrepôt en boitant, elle s’avança vers Michel impatient. Elle avait les cheveux noirs courts et un t-shirt rouge et blanc libellé Ex-Presso.
Ses cernes contrastant avec sa peau blanche remplie de tatouages faisaient ressortir son maquillage forcé à outrance.
La serveuse :-« J’en ai marre des malpolis comme vous qui se croient tout permis ! »
Michel surpris répondit :-« Euh, pardon, Madame »
La serveuse :-« C’est mieux comme ça, mon lapin ! »
Michel : -« Est-ce possible d’avoir un croissant et un café, s’il vous plaît ? »
Henri gesticulant derrière le dos de Michel interpela la serveuse d’un large sourire : –« Heu non, Madame…deux cafés et deux croissants, s’il vous plaît. »
Michel se retournant vers Henri le regard énervé fut contraint d’acquiescer.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes assis à une table déjeunaient en silence à l’abris du soleil.
Cette altercation entre Michel et la serveuse le fit penser à sa femme en réalisant la chance qu’il a de vivre avec une personne si douce et si gentille.
Dès qu’ils reprirent la route, Henri questionna :-« Dites, elle roule bien cette voiture, hein ?
Michel :-« Mwais. »
Henri :-« Ha, les japonaises c’est du solide. »
Michel :-« Mwais »
Henri :-« Il paraît que ces moteurs sont réglés comme des horloges. Ca peut aller plus vite ? »
Michel :-« Mwais »
Henri regardant sa montre innocemment :-« Dans une heure dix c’est marée haute… »
Michel :-« Mwais »
Henri-« Vous pensez qu’on y sera à temps ? »
Michel :-« Nan. »
Henri :-« Pourquoi ça ? »
Michel :-« C’est à deux heures d’ici. »
Henri :-« Mais vous pouvez accélérer ? »
Michel déjà saoulé laissa tomber sa tête contre son volant et klaxonna par inadvertance. Cela énerva un autre conducteur sur l’autoroute qui se rapprocha de sa voiture en le regardant méchamment. Henri continua de forcer pour que Michel accélère. Celui-ci finit par céder.
Michel :-« Merde ! »
Il avait accroché l’autre automobiliste.
Fâché du comportement de Michel, le conducteur le dépassa puis freina brusquement devant lui, obligeant Michel à le redépasser.
Michel accéléra autant que son compétiteur qui fit de même.
Dans le rétroviseur Michel aperçu les gyrophares bleus clignotants de la Police.
Le stress s’empara de lui en percevant les sirènes se rapprocher de son coffre.
Soudain, il entendit le bruit d’un haut-parleur !
-« Veuillez vous ranger sur le côté immédiatement »
Michel décida d’obéir.
Un policier descendit de la voiture de service et s’adressa à Michel.
Le policier-«Bonjour. Papiers du véhicule et carte d’identité, s’il vous plaît. »
Michel :-« Oui, bien sûr. »
Michel tendit les papiers trouvés dans la boîte à gants à l’agent de police.
Le policier :-« Et carte d’identité, s’il vous plaît »
Michel se rappela subitement qu’il avait oublié ses papiers à la maison en partant sur un coup de tête la veille.
Michel :-« Oups, je ne les ai pas sur moi mais je vais tout vous expliquer. »
Le policier :-« OK, on l’embarque », cria le policier à son collègue resté en retrait.
Le policier s’adressant à Henri :-« Et vous Monsieur, vos papiers d’identité , s’il vous plaît .»
Henri confus :-« Et bien figurez-vous qu’on m’a volé mon portefeuille hier… »
Le policier à son collègue :-« On embarque les deux ! », puis s’adressant aux deux individus non identifiés –« Veuillez me suivre. »
Michel et Henri se retrouvèrent assis sur la banquette arrière de la fourgonnette de police.
Arrivés au commissariat, l’interrogatoire commença et chacun raconta son histoire.
Le policier :-« Nom, prénom, adresse…je vous écoute. »
Michel :-« 27,Rue du Mouchard »
Le policier :-« Et aussi vos troubles mentaux. »
Michel :-« A première vue je n’en ai pas. »
Le policier :-« A première vue…je vous mets en garde à vue ! »
Le policier à son collègue :-« On a deux beaux menteurs ici. Déjà qu’ils ne sont pas capables de prouver leur identité, ils nous racontent des bobards en pensant qu’on va tout gober…mais bon, on n’est pas des pigeon ! »
Le policier ironique s’adressa à Michel et Henri : -« Les gars, j’ai une bonne nouvelle pour vous ; je vous garde au chaud pour la nuit ! Profitez bien.»
Henri :-« Oh, quelle gentillesse de votre part, Monsieur l’agent. »
Michel :-« Pardonnez-moi pour l’imbécilité de mon ami. »
Henri en souriant à Michel:-« On est ami ? »
Michel au policier :-« Et pardonnez-moi aussi pour ce soucis de prononciation. »
Michel et Henri se retrouvèrent dans une cellule bétonnée. Une petite lucarne laissait rentrer la lueur de la pleine lune dans la pénombre de la pièce.
Michel assis la tête entre les mains se mit à pleurnicher. Il comprit à quel point sa femme lui manquait. L’avoir quittée sur un coup de tête comme cela lui faisait beaucoup de mal. Inévitablement, il se mit à sangloter.
Ce qu’il disait était incompréhensible.
Michel :-« Ellemafoududehors…. »
Henri rempli de compassion essaya de le consoler.
Henri :-« Mon bon ami, ne soit pas triste. Ca me fait de la peine après le bon croissant que tu m’as gentiment offert… »
Michel :-« Mais pourquoi je ne lui ai pas dit la vérité… ? »
Henri :-« Mais enfin, que ne lui as-tu pas dit ? »
Michel :-« C’est moi qui ai oublié…je suis con… »
Les deux prisonniers finirent par s’endormir quelques heures.
Soudain, le bruit métallique d’une clef dans la serrure de la porte blindée l’ouvrit.
Le gardien :-« Allez les rigolos ! Sortez d’ici, on a besoin de place pour de nouveaux invités .»
Michel et Henri se retrouvèrent dehors au petit matin.
Ils attrapèrent un taxi et renseignèrent l’adresse de la fourrière où la Toyota avait passé la nuit.
Le chauffeur de taxi :-« Ah oui, vous avez une bagnole ? Et bien c’est à cause de gens comme vous que mon business ne tourne plus. »
Henri :-« Moi Monsieur, je n’ai pas de voiture .»
Michel en rigolant : »Enfin, bon ça se voit quand même qu’il vient juste de nous insulter ? »
Henri :-« M’en fou… »
Michel :-« Pourquoi tu ne t’énerves pas ? »
Henri :-« Oh, ça ne sert à rien. Dans deux heures il nous aura oublié. »
Michel en plaisantant:-« Oh, arrête tes conneries… »
Henri :-« Je ne dis pas de conneries. C’est juste drôle…tu veux qu’on devienne potes ? »
Michel :-« Ce n’est pas le genre de choses qu’on officialise. Tu veux qu’on aille à la Mairie tant qu’on y est ? » dit-il sur le ton de la blague.
Le chauffeur de taxi ne pipa plus un mot.
De retour de leurs mésaventures dans la berline grise, Michel questionna : « Alors mon gars, je te dépose à la plage ? »
Henri : « Ouaip ! »
Michel :-« Ca tombe bien, on est même plus à 30 minutes de Nice. »
Sur la plage encore déserte ils firent leurs adieux devant le lever du soleil.
Michel en lui faisant une accolade :-« Salut mon pote ! »
Il repartit en direction de son auto. Tout à coup, il se mit à regretter de ne pas avoir partagé son numéro de téléphone avec Henri.
Il rebroussa chemin pour le lui donner mais à l’arrivée son nouvel ami avait disparu.
A ce moment-là, Michel comprit la réelle valeur des choses et son bonheur qui avait été temporaire…il aurait dû plus en profiter.
Michel réalisa que, peu importe le nombre de détours que nous faisons dans la vie, en réalité nous sommes toujours quelque part ; même si nous nous sentons parfois seuls ou perdus.
Garder espoir et courage nous mène alors à destination…provisoire ou pas.
Tous ces événements ne lui donnaient qu’une envie pressante, retrouver sa femme et lui crier tout son amour en lui déclarant enfin les trois petits mots qu’elle attendait depuis si longtemps : Je t’aime.
Charles Nys, Mars 2025.